Marie Noëlle Salathé-Granès: Thérapie Existentielle; La vision de Noël K. Salathé

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LA THÉRAPIE EXISTENTIELLE

Les valeurs

Atelier animé par Marie-Noëlle Salathé-Granès

dans le cadre de la journée de réflexion du 19 octobre 2013
à Paris
organisée pour commémorer
l’apport de

NOËL K. SALATHÉ

à la
Gestalt-thérapie existentielle

© Octobre 2013

Cet atelier a réuni 25 personnes. Il faisait suite à la conférence du matin soulignant la place des valeurs dans la vie de Noël et dans son enseignement. Je remercie tous ceux qui ont apporté leur contribution pour nourrir notre réflexion et notre pratique autour de ce thème choisi.

Ainsi, nous avons relevé que :

  1.Nous avons tous des valeurs qui nous ont aidés à nous construire. Elles proviennent de notre environnement familial, scolaire, etc.

  2.Peut-on faire le tri entre valeur et introjection? Quelle différence au niveau du travail thérapeutique ?
Si l’on reconnaît des différences entre valeurs et introjections, quels sont les impacts sur le ressenti de la personne? Comment la personne peut avoir des repères internes pour reconnaître qu’il est question de valeurs ou d’introjections? Parfois, il n’y a pas le ressenti nécessaire pour servir de repères pour cette identification.

  3.Entre introjections et valeurs, au lieu de ne voir que des différences, ne faudrait-il pas aussi voir des chevauchements?
Par exemple, au départ il pourrait y avoir des croyances qui deviennent des valeurs lorsque je me les approprie, voire même je les incarne, par exemple en m’engageant.

  4.Il peut y avoir un conflit de valeurs dans une situation thérapeutique lorsque le système de valeurs de mon client n’est pas en cohérence avec le mien. Comment ne pas devenir intégriste? Que faut-il faire de ce conflit de valeurs?

  5.En situation thérapeutique, nous pouvons rencontrer des patients qui dépendent encore de leur système familial. Aborder avec eux la question des valeurs et des introjections peut-il les aider à devenir moins dépendants ?

Quelques définitions selon les dictionnaires

Croyance :
Fait de croire à l’existence de quelqu’un ou de quelque chose, à la vérité d’une doctrine ou d’une thèse. Opinion profane en matière religieuse, philosophique, politique.

Morale :
La Morale désigne l’ensemble des règles ou préceptes relatifs à la conduite, c’est-à-dire à l’action humaine. Ces règles reposent sur la distinction entre des valeurs fondamentales : le juste et l’injuste, ou simplement le bien et le mal. C’est d’après ces valeurs que la morale fixe des principes d’action, qu’on appelle les devoirs de l’être humain, vis-à-vis de lui-même ou des autres individus, et qui définissent ce qu’il faut faire et comment agir.

Postulat :
Principe d’un système déductif qu’on ne peut prendre pour fondement d’une démonstration sans l’assentiment de l’auditeur.

Posture :
Attitude morale de quelqu’un

Valeur (définition d’un point de vue philosophique) :
Principe qui oriente l’action d’un individu, d’un groupe, d’une organisation en société.

Valeur (définition développée d’un point de vue philosophique) :
Unité linguistique exprimant un jugement, une impression affective, un acquiescement ou un refus qui vient en tête en raison de son importance admise au départ d’un raisonnement ou d’une action et qui oriente l’action d’un individu, d’un groupe ou d’une organisation en société.

Valeur (définition d’un point de vue psychologique) :
Degré d’estimation d’une chose ou d’une qualité, apprécié subjectivement, soit d’après son utilité directe ou ses possibilités d’échange, soit en raison de son prestige relevant du jugement de l’individu ou du milieu social.

Ethique
1. Partie de la philosophie qui envisage les fondements de la morale
2. Ensemble des principes moraux qui sont à la base de la conduite de quelqu’un.

Les valeurs : définition et place dans notre vie

Les valeurs fondent notre vie et lui donnent un sens. C’est un socle sur lequel notre mode de vie, d’action et de relation est construit. Ce n’est pas un idéal, c’est une sécurité intérieure. Elles sont en principe non négociables.

Nos valeurs sont souvent ce à quoi nous donnons priorité. Elles sous-tendent nos choix.

L’adjonction de toutes nos valeurs crée notre code d’éthique personnel.

L‘éthique est le fondement de nos principes moraux qui permettent de vivre ensemble. Cela commence par des principes qui sont que si JE existe, il faut que l’autre existe aussi. Les principes basiques sont donc que ma liberté rencontre la liberté de l’autre. Les valeurs sont donc des critères de références pour évaluer nos comportements dans les situations. Ainsi ce sont ces principes éthiques qui guident nos rapports à l’autre. Lorsque nous faisons une action, quels sont nos critères de référence avec lesquels nous allons évaluer l’acte et la posture que nous allons adopter ? Quelle valeur allons-nous donner à cet acte ? Face à mes valeurs, l’autre peut se référencer, se positionner ou se différencier.

Lorsque nous avons des idéaux, nous ne mettons pas en œuvre nécessairement notre prise de responsabilité, notre croyance en un possible et une posture associée à cela.

Valeurs et croyances sont des ressources sur lesquelles nous pouvons nous appuyer car elles nous définissent.

Le postulat est un principe que j’admets d’emblée, mais que je ne peux pas démontrer. Il conditionne ma façon de voir le monde, alors que mes valeurs conditionnent plutôt mes choix et mes engagements.

Ma posture est la façon dont je vais incarner mes postulats, croyances, valeurs qui peuvent se transformer au cours de la vie.

Les introjections sont nécessaires lorsqu’on est enfant, c’est de l’ordre de la morale. C’est la structuration, l’éducation, la protection aussi. On dit à l’enfant: “C’est comme ça”. Il y a un premier temps où c’est nécessaire pour l’enfant, pour sa sécurité.

Rollo May souligne que dans l’établissement des valeurs, il y a le poids considérable du modèle culturel. Les valeurs sont très largement puisées dans la culture ou le reflet de la culture, (voir Le désir d’être, chapitre sur les mythes). A l’origine, c’est ce que Freud appelle l’apprentissage des traditions.

L’éducation, la morale, la déontologie sont des véhicules traditionnels de transmission de l’acquisition des valeurs.

Au départ, l’enfant se comporte comme on lui dit de se comporter au nom de certaines valeurs et puis à un moment, il met cela en question : est-ce bon pour moi ou non ? Il met en cause ce qu’il a appris ou bien il le critique et cela devient partie structurante de la personnalité. C’est le passage du contrôle extérieur au contrôle progressif intérieur.

Parfois, il y a formation réactionnelle. L’enfant rejette en bloc tout ce qui vient de ses parents.

La thérapie existentielle va porter sur toutes ces notions, ce socle sur lequel se fondent les choix de l’individu libre.

Les valeurs : leur place en situation thérapeutique

En thérapie, nous amenons le patient à reconnaître, préciser, approfondir la place et l’importance de ses valeurs dans son quotidien. Cette prise de conscience critique va lui permettre de se positionner et de faire des choix. Le patient à besoin de trouver plus de signification avant de pouvoir donner une direction à sa vie.

Nos valeurs sont différentes selon les contextes de notre vie.

En thérapie, nous amenons de la conscience pour voir si ces règles, cette éducation, conviennent avec ma sensibilité. Aujourd’hui j’ai grandi, est-ce que cela me convient. On fait le tri au niveau des introjections et valeurs transmises.

Cette question du sens ne se posera pas nécessairement de manière cognitive, mais elle sera appréhendée à partir de l’expression d’un malaise, de symptômes physiques et d’une souffrance.

Nous aidons le patient à se soutenir dans les valeurs qui sont les siennes. Si la protection de soi par exemple est une valeur à renforcer, le patient ressent qu’il a le droit de se protéger avec l’aide de son thérapeute. Cela lui donne l’autorisation d’être ce qu’il est véritablement.

Tout ce travail se fait par le biais de l’engagement du thérapeute dans la relation, ici et maintenant. L’objectif est que le patient se nourrisse d’une autre figure relationnelle, avec confiance et des affects plus ouverts. Cette expérience va parfois à l’encontre du modèle parental. Par le soutien sur lequel il peut s’appuyer, son désespoir va être un peu réduit, il se sent moins seul au monde. Une dévalorisation de lui-même va perdurer un certain temps jusqu’à ce qu’il puisse s’accorder le droit à être ce qu’il est. Il osera alors se positionner et pourra affirmer qui il est. Il trouvera pour lui-même des repères différents, à la fois pour comprendre la signification de son expérience et lui donner une direction.

Nous sommes confrontés à des problématiques d’attachement. L’enfant a des attentes, par rapport à la figure parentale. Mais aujourd’hui c’est l’adulte qui choisit de renoncer à ces attentes, pour tenir compte de la réalité avec ses limites et ses possibles.

Il y a un travail de déconstruction impossible sans qu’un tissage de la relation thérapeutique ait pu se faire avec des repères, pour qu’un sentiment de sécurité puisse s’installer. Le travail porte sur des zones où il y a eu de la béance. Le patient et le thérapeute doivent apprivoiser la relation mais aussi les sensations désagréables qui peuvent être ressenties comme la rage, le désespoir, la tristesse, la honte, etc. Elles parlent de nos difficultés à exister.

En thérapie existentielle, nous valorisons, dans notre cheminement, la question de la sécurité. Elle n’est pas abordée uniquement sur le plan intellectuel. Nous sommes également attentifs au langage corporel du patient.

La prise de conscience du patient induit un travail de déconstruction qui se fait par couches et qui laisse place au manque, au vide. Nous reconnaissons alors ce manque, ce vide, et l’impuissance. Ensemble, thérapeute et patient valorisent ce qui n’a pas été bon pour le patient, ce qui lui a fait du mal. Nous ne mettons pas encore quelque chose à la place de ce qui fait mal, mais nous le mettons un peu à distance, pas complètement en dehors et nous évaluerons par la suite si on peut vivre avec ce manque, et dans quelle mesure.

En tant que thérapeute humaniste, nos valeurs sont : l’empathie, la solidarité, l’engagement, la confiance. Est-ce que celles-ci sont en adéquation avec les valeurs du patient ? Pour lui permettre de le savoir, nous l’accompagnons à augmenter sa conscience, sa lucidité, son auto-observation, son ressenti. Mais parfois lorsque les valeurs ne sont pas partageables, le thérapeute ne peut construire une action, une réflexion commune.

Être phénoménologue, c’est écouter la personne dans un terrain de résonance, de ressenti et de sympathie. Pour cela, nous sommes dans une posture de face à face et de mimétisme corporel. Nous tenons également compte de son rythme pour lui permettre d’intégrer son expérience. La personne se reconnecte à elle-même avec différentes portes d’entrée : le sensoriel, l’émotif/affectif, le cognitif, le moteur et le spirituel. Chaque thérapeute privilégie une de ces portes d’entrées, selon le patient et la situation. Il faut beaucoup de temps et de patience pour que le véritable “Je” puisse exister chez le patient. Cela dépend de son histoire et des manques vécus durant son jeune âge.

Chacun de nous, patient et thérapeute, a des idées, des croyances, des valeurs, une perception de notre réalité à partir de nos expériences. Notre sagesse, comme thérapeute, est de ne pas affirmer: « Voilà la réalité », mais de pouvoir ensemble « imaginer le réel de l’autre ».

La prise en compte de nos valeurs peut nous amener, dans une situation donnée – selon le schéma de Noël sur l’angoisse existentielle – à un engagement, un contact, un renoncement, une sublimation ou un deuil.

Dans notre société actuelle, nous sommes de plus en plus confrontés à des pressions dans le domaine professionnel. Nous devons être de plus en plus performants, ce qui induit un sentiment d’insécurité. Même si la personne à des croyances et des valeurs personnelles, il y a une réalité qui la fait douter d’elle-même, de ce qu’elle est, de ce qu’elle croit.

Notre travail va consister à renforcer ce qu’elle croit et lui semble juste et éventuellement quelles alliances elle peut créer pour ne pas se sentir isolée, car lorsque la personne doute d’elle-même et se sent seule, c’est la porte ouverte à la dépression. Il y a un vécu de confusion, de perte de sens sur ce qui, dans la situation est juste ou pas. En thérapie, nous reconnaissons les valeurs de la personne et son mal être face à cette agression dont elle ne sait pas se protéger. Elle envisage uniquement le rejet et la rupture et ressent donc une impuissance à agir sur la situation présente. Nous soutenons la personne pour faire la différence entre ce qu’elle peut changer ou non. C’est également la reconnaissance de ses limites. On la confirme dans ce qu’elle est, dans sa capacité à se soutenir, se reconnaître et se légitimer face à l’insécurité et la confusion de la situation présente. Elle est amenée à revoir son code éthique.

Face à l’insécurité, les vieux schémas de l’enfance remontent et confirment le sentiment d’impuissance. L’isolement ou l’agression sont des tentatives de protection face à la maltraitance. Nous allons reconnaître ensemble la nécessité du patient de ne pas être envahi par l’autre et son agression, qu’il doit apprendre à se protéger. La valeur privilégiée à ce moment est le respect de l’autre ET de lui-même et surtout le respect de la différence. Sentir qu’il a ce choix-là peut le sortir d’un sentiment de désespoir, alors qu’il est perdu dans son impossibilité de mettre en place son propre cadre personnel de repères et de valeurs.

Nous accordons de l’importance aux valeurs de la personne, à ses croyances et à sa capacité de relation au monde. En cela, nous ne sommes ni utopiques, ni adaptatifs. Ce qui peut l’aider à vivre n’est pas de chercher la sécurité totale mais d’avoir des perspectives et de les mettre en place. Elles peuvent lui donner envie de continuer son chemin en dépit de… au lieu de s’écrouler. Nous croyons en ses ressources et en ses possibilités. Parfois, c’est une question de foi.

Pour terminer ce compte rendu, je tiens à remercier tous les participants pour ce moment d’échange et de partage.